Christophe Noiret, Directeur de l'agence de Brive-la-Gaillarde nous parle de son rapport au handicap

RH/Formation
Publié le 15 novembre 2021

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Bonjour, Christophe Noiret, je suis à la tête de l’agence de Brive-la-Gaillarde depuis 2007. Nous sommes 53 collaborateurs à l’agence, dont 4 collaborateurs en situation de handicap.

  • Quelle sensibilité avez-vous concernant le handicap en général, et en milieu professionnel ?

Je suis personnellement sensibilisé au sujet du handicap. En 2006, mon frère est devenu tétraplégique suite a un « accident de plage ». Il avait 39 ans, il a plongé et il n’y avait pas assez d’eau. Mon frère était un grand sportif et il était éducateur pour des personnes en situation de handicap (tétraplégiques et paraplégiques). Il savait très bien ce qu’était le handicap, mais les deux premières années ont été presque insurmontables pour lui. Par la suite, il a créé une association pour essayer de faire bouger les choses à Bordeaux. Il me parlait souvent des problèmes d’accessibilité, de ceux liés au travail, et de leur impact psychologique. C’est une situation qui peut mettre à la marge, et souvent, en tant que valide on ne se rend pas compte de toutes ces conséquences.

  • Le statut de Directeur d’Agence vous place en position de pouvoir par rapport à cette problématique. Voyez-vous cette position comme un moyen de changer les choses à votre niveau ?

Oui complètement, et c’est super important. Je connais les difficultés auxquelles peuvent se heurter les personnes en situation de handicap, et j’essaie d’offrir des opportunités quand je peux. L’égalité des chances c’est important. C’est très dur de ne pas trouver de travail, ou de perdre son travail. Psychologiquement on peut se sentir inférieur, mis de côté, laissé pour compte. Travailler, c’est un élément d’une vie « normale ».

  • Le handicap souffre de préjugés et d’idées reçues. Pensez-vous qu’ils freinent le recrutement ?

Complètement, pourtant il faut déjà comprendre que le handicap est un sujet complexe et multiple. C’est vrai que de manière générale, en tant qu’employeur on peut avoir des craintes concernant l’accessibilité, l’absentéisme, la productivité, le coût d’aménagement etc. J’entendais souvent mon frère dire « c’est pas possible, personne nous fait confiance !». Que la personne souffre d’un handicap léger, plus lourd ou même invisible, le mot « handicap » peut faire peur aux entreprises. Les recruteurs sont sur la réserve car ils se disent « comme il est handicapé il ne va pas y arriver », ou « ce sera arrêt sur arrêt ». 

Le problème principal du handicap en milieu professionnel, c’est l’image erronée que s’en font les valides. Finalement, on a peur de ce qu’on ne connaît pas.

  • L’expérience de votre agence tord le cou à ces préjugés ?

Oui, on n’a pas plus d’absences ou d’arrêts de travail. L’important c’est d’aider les salariés concernés, d’aménager le mieux possible leur poste par rapport à leurs besoins spécifiques. On évite justement de créer de l’inconfort qui pourrait conduire à des absences. A l’agence de Brive, les personnes en situation de handicap sont des personnes attentives, impliquées, volontaires, productives et elles mettent un point d’honneur à ce qu’on les considère normalement.

  • Pensez-vous qu’il y a un rapport différent au travail entre une personne en situation de handicap et une personne valide ?

Je crois qu’il peut y avoir une forme de reconnaissance de leur part. Le handicap peut rendre difficile l’accès à l’emploi ou créer une rupture, dans le cas d’un accident. Quand on vit ces difficultés et ces craintes, ainsi que toutes ses conséquences, on considère le travail plus comme une opportunité qu’une contrainte. C’est super important de garder un lien avec le monde du travail, pour l’équilibre psychologique, pour l’amour propre et l’autonomie.

  • Dans votre agence, combien de personnes sont en situation de handicap ?

Il y a 4 personnes. Il y a José qui est chauffeur, il est malentendant. Mickael travaille sur les quais, il a un déficit de préhension à la main droite. Eric travaille également sur les quais, il a eu deux crises cardiaques, et enfin il y a Franck, notre Responsable Camionnage, qui souffre du dos.

Mickael a été recruté via Cap Emploi il y a une dizaine d’années. Les autres étaient déjà en poste à l’agence avant leur handicap. Nous les avons accompagnés dans leurs démarches dans ce processus de reconnaissance du handicap et d’adaptation de poste. Pour moi l’essentiel est de faire mon maximum pour que mon salarié conserve son emploi. Mon frère disait du handicap que « c’est un combat difficile, il faut être motivé, entouré et aidé ».

  • Au sein de l’équipe, comment ça se passe ?

Tout le monde ici connaît les handicaps de chacun. On a sensibilisé tout le monde, afin que chacun comprenne et n’en fasse pas de cas.

José, Mickael, Eric et Franck viennent toujours avec le sourire, mine de rien ça motive tout le monde. Ils sont très positifs, ce sont des moteurs.

  • Quels aménagements avez-vous mis en place et quel accompagnement avez-vous reçu en tant qu’employeur ?

José est équipé d’aides auditives. Mickael a un transpalette électrique autoporté, Eric ne soulève pas de poids supérieur à 20 kilos et a un transpalette personnel électrique également, Franck qui a des problèmes de dos a un bureau et une chaise adaptés. C’est un bureau debout, qui monte et descend. Le bureau se lève automatiquement toutes les 45 minutes : Franck reste debout 10/15 minutes puis se rassoit. Depuis qu’il a cet équipement il n’a pas été arrêté.

Pour chaque demande, plusieurs intervenants viennent directement sur site, pour étudier le poste, dresser un constat, faire des préconisations d’actions à mettre en place et étudier les aides qu’on peut avoir. Il y a la médecine du travail, Agefiph, Cap Emploi etc. On a aménagé les postes de tout le monde pour que chacun puisse travailler correctement. D’un point de vue financier, nous n’avons pas eu de coût supplémentaire grâce aux aides de l’État. Il y a pleins de choses possibles en passant par ces organismes, et c’est important d’être épaulé dans ces démarches administratives, elles sont parfois complexes.

  • En ce qui concerne les métiers du transport et de la logistique, est-ce que vous pensez que les personnes en situation de handicap sont sous-représentées ?

Oui complètement. Quand on dit transport, on pense souvent directement au métier de conducteur, alors qu’il y a pleins d’autres métiers qui peuvent facilement être adaptés. On n’est pas que des routiers et il ne faut pas que ces gens aient peur de nos métiers.

  • En tant que Directeur d’Agence, pensez-vous avoir un rôle de pédagogie sur le sujet ? Vous sentez-vous ambassadeur du secteur du transport pour en faciliter l’accès aux personnes en situation de handicap ?

Oui complètement, c’est aux leaders d’agences, aux directeurs de service, au siège aussi de promouvoir cette démarche. Je trouve qu’on n’échange pas assez avec ces réseaux, comme Cap Emploi ou l’ADAPEI par exemple. Lorsque je fais un recrutement, je passe toujours par ces canaux pour savoir si un profil pourrait convenir. C’est aussi intéressant d’aller toucher les plus jeunes, pour leur présenter ces métiers-là qui sont plutôt méconnus et dans lesquels il y a de gros besoins.

  • Sur quel projet lié au handicap travaillez-vous actuellement ?

En ce moment, on essaie de faire des portes ouvertes avec des associations comme PEP 19 pour promouvoir les métiers d’agents de quai et de conducteurs. On veut voir si ça peut marcher.